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La clause attributive de juridiction dans l’ordre juridique européen : focus sur l’actualité

Tout agent économique est aujourd’hui averti : la relation commerciale se prévoit, se concrétise,se matérialise, se gère, se finalise, … de telle sorte que rien ne doit être laissé au hasard… En effet, le hasard est un phénomène perturbateur et nuit à la bonne gestion et la rentabilité de l’agent économique.

Peut-on maîtriser l’avenir qui est susceptible de devenir conflictuel par l’usage averti d’outils contractuels ? L’actualité législative et jurisprudentielle conforte la réponse affirmative à cette question incontestablement rhétorique.

Le contrat, loi des parties, permet de choisir le juge compétent pour trancher le litige susceptible de naître, par le biais d’une clause attributive de juridiction savamment rédigée.

Aujourd’hui, le recours au règlement judiciaire des conflits est devenu une réponse automatique, voire un reflexe, aux différends entre cocontractants. De la sorte, le contrat échappe aux parties et son interprétation est soumise à la sagacité du juge saisi.

La clause attributive de juridiction, compte tenu de son importance, se transforme en un litige à elle seule : être jugé ou ne pas être jugé par une autorité judiciaire autre que celle définie dans la clause attributive de juridiction, telle est la question ?

Si la clause attributive de juridiction s’avère un outil opportun, elle doit être manipulée avec précaution, tant les conditions de son opposabilité demeurent même aujourd’hui difficiles à appréhender.

(i) Tout d’abord, il convient de distinguer une clause attributive de juridiction applicable dans l’ordre juridique français d’une telle clause applicable entre cocontractants domiciliés dans différents Etats de l’Union Européenne. L’existence d’un élément d’extranéité conditionnera le droit processuel applicable.

La licéité des clauses attributives de juridiction en droit français n’est admise que sous certaines conditions : la clause doit être conclue de manière apparente entre des personnes ayant la qualité de commerçants.

En revanche, le droit communautaire semble bien plus laxiste à ce titre. Il a été jugé qu’une clause attributive de juridiction rédigée en langue anglaise au profit d’une juridiction allemande et opposée à une personne physique non commerçante domiciliée en France est licite. La Cour de Cassation admet cette clause aux motifs que « les parties étaient, à la date de la convention, domiciliées sur le territoire d’Etats communautaires, que la situation était internationale et que la clause, rédigée par écrit, relative à un rapport de droit déterminé, désignait les tribunaux d’un Etat communautaire » (Cass. Civ. 1ère 23 janvier 2008).

Le franchissement des frontières nationales semble justifier la nécessaire acceptation du libéralisme contractuel.

De même, alors qu’en droit français, la personne appelée en garantie par son cocontractant ne peut pas lui opposer la clause attributive de juridiction, une société domiciliée dans un pays membre de l’Union Européenne peut opposer à sa contractante (domiciliée dans un autre Etat membre) une clause attributive de juridiction (jurisprudence constante et notamment, Cass. Civ. 1ère 6 janvier 2004).

(ii) C’est le sens même de l’article 25 du règlement « Bruxelles 1 bis » n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.

Aux termes de cet article, la compétence d’une juridiction mentionnée dans une clause attributive de compétence est exclusive de toute autre compétence judiciaire.

(iii) En revanche, si l’autorité d’une telle clause semble s’imposer aux parties d’un contrat, elle n’a qu’un effet relatif entre des personnes n’ayant pas collaboré dans le cadre d’une relation contractuelle unique. En effet, dès lors qu’un tiers acquéreur n’a pas pu librement discuter la clause attributive de juridiction existante entre le vendeur originaire et le revendeur, elle ne lui est pas opposable (Cass. Civ. 1ère 25 mars 2015).

Très récemment, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE 20 avril 2016) a eu à préciser ce postulat en jugeant que la clause attributive de juridiction contenue dans un prospectus d’émission de titres obligataires n’est opposable au tiers souscripteur que si :

– la clause est valide entre l’émetteur et l’intermédiaire financier ;

– le tiers souscripteur a succédé à l’intermédiaire financier dans ses droits et obligations contractuels;

– le tiers souscripteur a eu connaissance du prospectus.

Une telle clause est considérée, en revanche, comme étant conforme à un usage en matière de commerce international.

(iv) Toutefois, il serait inexact d’affirmer que la clause attributive de juridiction dans l’ordre communautaire n’est applicable seulement que si des intérêts de nature contractuelle sont en jeu.

En effet, une clause attributive de juridiction est applicable dans le cadre de litiges relatifs à une rupture brutale de relations commerciales (Cass. Com. 24 novembre 2015). Rappelons que très récemment la Cour de Justice, en répondant à une question préjudicielle posée par la Cour d’Appel de PARIS, a précisé que, dans l’ordre juridique communautaire, l’action en réparation pour rupture de relations contractuelles établies n’est pas nécessairement de nature délictuelle, mais peut être de nature contractuelle (CJUE 14 juillet 2016).

De même, elle admet l’application d’une clause attributive de juridiction dans des litiges dont l’objet est un différend relatif à une infraction au droit de la concurrence (en l’espèce, l’infraction était l’entente sanctionnée par l’article 101 TFUE) (CJUE 21 mai 2015).

(v) Ce laxisme quant à l’opposabilité des clauses attributives de juridiction dans l’ordre juridique européen se traduit aussi par la possibilité de faire figurer une telle clause dans un document annexe au contrat si ce même contrat en fait référence. Ainsi, est licite une telle clause figurant dans les conditions générales de vente non signées par les parties lorsque le contrat fait référence expressément à ces mêmes conditions (CJUE 7 juillet 2016).

(vi) Ces brefs propos nous amènent à la conclusion suivante : alors que la mise en œuvre d’une clause attributive de juridiction dans l’ordre juridique français semble peu aisée, la situation est tout autre dans l’ordre juridique européen.

Encore très récemment, les Juges Suprêmes français ont rappelé que les dispositions de l’article 25 du règlement BRUXELLES 1 bis sont exhaustives et les Etats ne peuvent pas rajouter de nouvelles conditions pour la mise en œuvre d’une clause attributive de juridiction. Autrement dit, dès lors que la clause attributive de juridiction est rédigée en termes généraux et si sa mise en œuvre n’est pas conditionnée selon un objet de demande bien déterminé, elle s’applique à tout litige né ou à naître entre deux cocontractants (Cass. Civ. 1ère 24 février 2016).

Ainsi, compte tenu de la complexité d’application de ces clauses, le contrôle judiciaire semble indispensable.