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Quelle actualité en matière de rupture brutale des relations commerciales ? (Bref et non exhaustif panorama de la jurisprudence de l’année 2017)

La notion de rupture brutale de relations commerciales semble évidente, tellement les termes de l’article L. 442-6 I 5° du Code de commerce apparaissent faciles à appréhender. Or, elle n’a pas de cesse d’alimenter la jurisprudence.

En effet, l’ingéniosité des professionnels de droit, à la recherche constante de nouveaux arguments repoussant les limites d’une simple exégèse du texte, conduit à réinterpréter la loi tout en essayant de s’approcher de la vérité juridique.

Pendant l’année 2017, nombreuses étaient les questions posées à la Cour de cassation concernant la règle aux termes de laquelle la rupture brutale des relations commerciales est prohibée.

Voici un panorama non exhaustif de ses décisions…

  1. L’action en réparation d’un préjudice subi consécutivement à une rupture brutale de relations commerciales est-elle de nature délictuelle ou bien de nature contractuelle ?

La réponse ne semble pas évidente car elle est conditionnée par la localisation du contentieux et conséquemment, de l’ordre juridique concerné : français, européen ou international.

La solution est traditionnelle dans l’ordre juridique français : l’action en rupture brutale de relations commerciales est un délit civil (Cass. Com. 11 janvier 2017).

Tel peut également être le cas dans l’ordre juridique international. En effet, en se positionnant sur le terrain de conflit de lois, l’action apparaît de nature délictuelle.

En revanche, la règle est différente dans l’ordre juridique européen.

Rappelons que la Cour de justice de l’Union européenne, en répondant à une question préjudicielle posée par la Cour d’appel de PARIS, a précisé que, dans l’ordre juridique européen, l’action en réparation pour rupture de relations contractuelles établies n’est pas nécessairement de nature délictuelle, mais peut être de nature contractuelle (CJUE 14 juillet 2016).

Ainsi, si les agents économiques évoluent dans le marché européen, et si l’un des cocontractants est domicilié dans un autre Etat membre de l’Union, la responsabilité de la rupture peut être qualifiée de contractuelle dès lors qu’il existe une relation commerciale suivie. Ainsi, la juridiction compétente pour juger le contentieux en découlant pourrait être située dans un autre Etat membre.

Il conviendra donc d’inciter vivement ces agents économiques de solutionner cette difficulté en amont, autrement dit – avant le début de tout contentieux, la référence même à l’INCOTERM approprié dans le contrat ou sur les commandes et/ ou les factures est susceptible d’apporter une réponse à cette interrogation.

Quid donc de la possibilité de prévoir une clause attributive de juridiction ?

  1. Peut-on choisir contractuellement la juridiction compétente pour trancher un éventuel litige de rupture brutale de relations commerciales établies ?

La réponse négative s’impose dans l’ordre juridique français parce que les dispositions de l’article L. 442-6 I 5° du Code de commerce sont d’ordre public et les articles D. 442-3 et D. 442-4 du même code énumèrent limitativement les juridictions disposant de la compétence pour trancher un litige dans ce domaine.

La solution est classique : une clause attributive de juridiction dans l’ordre interne ne saurait déroger à ces règles impératives (Cass. Com. 1ermars 2017).

Toutefois, cette affirmation devrait être quelque peu tempérée car il a été jugé qu’une clause attributive de juridiction ne pouvait pas trouver application « dès lors qu’elle désignait une juridiction non spécialement désignée »(Cass. Com. 11 mai 2017).

Conséquemment, une clause attributive de juridiction sera jugée applicable dans l’ordre juridique français si la juridiction désignée est l’une des juridictions spéciales prévues dans le Code de commerce ?!

En revanche, dans la mesure où dans l’ordre juridique européen, l’action est de nature contractuelle, une clause attributive de juridiction permettra de désigner la juridiction compétente avant tout contentieux (Cass. Com. 5 juillet 2017).

Par ailleurs, une telle clause est également jugée applicable dans l’ordre juridique international (Cass. Civ. 1ère18 janvier 2017).

  1. L’action de rupture brutale de relation commerciale établie peut-elle être utilisée par tout agent économique ?

Selon arrêt du 8 février 2017, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a refusé de conférer aux coopératives et leurs membres le statut de partenaires commerciaux au sens de l’article L. 442-6 I 5° du Code de commerce.

Fort logiquement, la Cour de cassation a jugé que :

« Attendu que les statuts des coopératives fixant … les conditions d’adhésion, de retrait et d’exclusion des associés, les conditions dans lesquelles les liens unissant une société Coopérative et un associé peuvent cesser sont régies par les statuts de cette dernière… ».

Autrement dit, la Haute juridiction a dit pour droit que le coopérateur est avant tout et surtout associé de la coopérative. En tant que tel, il est lié par le contrat de société qu’il a signé ou, auquel il a adhéré, pour en devenir membre.

Il n’est partenaire commercial de cette coopérative que parce qu’il y est associé.

Conséquemment, la rupture de la relation commerciale existant entre la coopérative et le coopérateur est régie par la convention des parties et son éventuelle brutalité ne saurait constituer une faute au sens de l’article L. 442-6 I 5° du Code de commerce.

Ce principe a été réaffirmé de manière plus solennelle dans un arrêt du 18 octobre 2017 qui énonce que « les dispositions de l’article L. 442-6, I, 2° et 5° du Code de commerce sont étrangères aux rapports entretenus par les sociétés en cause, adhérentes d’une société coopérative de commerçants détaillants avec cette dernière ».

La doctrine n’a pas hésité à affirmer que, compte tenu de la généralité du principe annoncé, cette décision avait vocation à s’appliquer à tout groupement, comme un GIE par exemple.

De même, il a été jugé que l’article L. 442-6 I 5° « ne s’applique pas lors de la cessation des relations ayant existé entre un agent commercial et son mandant » (Cass. com. 18 oct. 2017), le statut d’ordre public des agents commerciaux empêchant nécessairement l’application de ces dispositions.

Concernant la relation commerciale qu’une association peut entretenir avec ses partenaires, il a été jugé que « (…) le régime juridique d’une association, comme le caractère non lucratif de son activité, ne sont pas de nature à l’exclure du champ d’application de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce dès lors qu’elle procède à une activité de production, de distribution ou de services » (Cass. Com. 25 janvier 2017).

  1. La notion de relation établie exige-t-elle nécessairement l’existence d’un contrat à durée indéterminée ou bien un contrat à durée déterminée suffit ?

Il a été dit pour droit qu’il n’existe pas de relation commerciale établie en présence d’une mise en concurrence annuelle (Cass. Com. 18 octobre 2017).

  1. L’état de crise économique justifie-t-elle et facilite-t-elle la rupture d’une relation commerciale établie ?

Dans un arrêt en date du 8 novembre 2017, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a pu jugé que les conséquences de la crise dans un secteur d’activité sont susceptibles de justifier tout d’abord, la baisse des commandes et puis, la rupture de la relation commerciale.

Doit-on alors estimer qu’une situation de crise économique justifie une rupture de la relation commerciale au détriment de tout préavis ? En sauvant un opérateur économique, n’expose-t-on pas son cocontractant à des difficultés économiques certaines ?

La décision susvisée s’explique par la nature particulière des faits de l’espèce. En effet, la société ayant rompu la relation commerciale « n’avait pris aucun engagement de volume envers son partenaire ».

Puis, les faits étaient antérieurs à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2016-131 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (Ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016) qui a introduit dans le Code civil le mécanisme de l’imprévision. Or, ce mécanisme aurait permis le « rééquilibrage » du contrat et des engagements respectifs…

* * *

En guise de propos conclusif, nous ne pouvons qu’attirer l’attention du lecteur sur l’arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 21 mars 2018. Voilà un arrêt rendu dans le prolongement du revirement opéré par la Haute Cour par une série d’arrêts du 29 mars 2017.

Un nouvel article y sera consacré…