La juridiction compétente dans le cadre d’une rupture brutale de relations commerciales : quelle différence entre l’ordre juridique français et l’ordre juridique européen ?
Il est de jurisprudence constante en France que l’action en réparation pour rupture brutale de relations commerciales est un délit civil, la victime de la rupture ayant le choix de saisir soit la juridiction du lieu du défendeur, soit la juridiction du lieu du fait dommageable, soit celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi (En ce sens, notamment : Cass. Com. 6 février 2007).
En revanche, comme il a été déjà précisé dans l’un de nos précédents articles[1], la règle est différente dans l’ordre juridique européen.
Rappelons que la Cour de justice de l’Union européenne, en répondant à une question préjudicielle posée par la Cour d’appel de PARIS, a précisé que, dans l’ordre juridique communautaire, l’action en réparation pour rupture de relations contractuelles établies n’est pas nécessairement de nature délictuelle, mais peut être de nature contractuelle (CJUE 14 juillet 2016).
Dans son arrêt en date du 20 septembre 2017, la Cour de cassation reprend ce principe et annonce :
« aux termes de l’article 7, point 2, du règlement (UE) 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, tel qu’interprété par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE 14 juillet 2016 aff. C-196/15 Granolo SpA c. Ambroisi Emmi France SA), une action indemnitaire fondée sur une rupture brutale de relations commerciales établies de longue date ne relève pas de la matière délictuelle ou quasi délictuelle, au sens de ce règlement, s’il existait, entre les parties, une relation contractuelle tacite reposant sur un faisceau d’éléments concordants, parmi lesquels sont susceptibles de figurer, notamment, l’existence de relations commerciales établies de longue date, la bonne foi entre les parties, la régularité des transactions et leur évolution dans le temps exprimée en quantité et en valeur, les éventuels accords sur les prix facturés et/ou sur les rabais accordés, ainsi que la correspondance échangée ».
Pour mieux comprendre cette décision, faut-il revenir sur les faits de l’espèce.
Une société de droit belge (fabricant) était en relations d’affaires avec une société française (distributeur) depuis 2003.
Cette relation ayant cessé en janvier 2010, la société française a assigné son partenaire commercial devant le Tribunal de commerce de PARIS en réparation de son préjudice, sur le fondement de l’article L. 442-6 I 5° du Code de commerce relatif à la rupture brutale de la relation commerciale.
Tout d’abord, le Tribunal de commerce de PARIS s’est déclaré compétent. Après un contredit formé par la société belge, la Cour d’appel parisienne a constaté son incompétence. Un pourvoi en cassation a été formé par la société française.
En rappelant les règles en vigueur dans l’ordre juridique européen (mentionnées ci-dessus), la Cour de cassation constate que :
« l’arrêt relève que la société AVR a vendu pendant plusieurs années, soit de 2003 à 2010, du matériel agricole à la société Proutheau que cette dernière distribuait en France ; qu’il ajoute que l’article 5 des conditions générales des contrats de vente conclus entre les parties, intitulé “Lieu de livraison”, précisait “les marchandises sont censées être livrées à partir de nos magasins avant expédition” ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir l’existence d’une relation contractuelle tacite, la cour d’appel, qui n’a pas méconnu les termes du litige, a pu retenir que l’action relevait de la matière contractuelle et, les marchandises étant livrées en Belgique, déclarer le tribunal de commerce de Paris incompétent ».
La décision est parfaitement conforme à l’état de droit dans l’ordre juridique européen.
En revanche, elle peut scandaliser quelque peu les praticiens français au regard de la distorsion qui existe en cette matière entre l’ordre juridique français et l’ordre juridique européen.
Quels sont donc les enseignements que les chefs d’entreprises doivent en tirer pour sécuriser et prévoir au maximum les conséquences d’une rupture brutale de relations commerciales ?
Tout d’abord, si les partenaires commerciaux sont domiciliés en France, la responsabilité consécutive à une rupture brutale demeure de nature quasi-délictuelle. La juridiction compétente sera nécessairement une juridiction française.
En revanche, si l’un des protagonistes est domicilié dans un autre Etat membre de l’Union, la responsabilité de la rupture peut être qualifiée de contractuelle dès lors qu’il existe une relation commerciale suivie. Ainsi, la juridiction compétente pour juger le contentieux en découlant pourrait être située dans un autre Etat membre.
Il est donc indispensable de prévoir une rédaction scrupuleuse et très attentionnée des termes du contrat.
Ou, mentionner dans les documents contractuels l’INCOTERM susceptible de solutionner les éventuels litiges[2].
Autrement dit, le contrat, le contrat et encore une fois, le contrat !
[1] Article « La clause attributive de juridiction dans l’ordre juridique communautaire » article du 23 décembre 2016 consultable sur le présent site internet, soit https://www.cabinet-cliquet.eu/2016/12/23/la-clause-attributive-de-juridiction-dans-lordre-juridique-europeen-focus-sur-lactualite/.
[2] C. f. Article « Détermination de la juridiction compétente dans les relations d’affaires intracommunautaire » du 20 décembre 2016 consultable sur le présent site internet, soit https://www.cabinet-cliquet.eu/2016/12/20/determination-de-la-juridiction-competente-dans-les-relations-daffaires-intracommunautaires/.