• 63 Cours Balguerie Stuttenberg, Bordeaux
  • (+33) 5 56 69 73 24

La question épineuse du choix de la juridiction compétente par le salarié d’une compagnie aérienne et l’impact des éléments d’extranéité

Afin de rétablir l’équilibre, qui parfois peut être fragilisé par les rapports de force, le droit judiciaire de l’Union européenne se veut protecteur à l’égard de la partie considérée comme la plus faible, notamment le consommateur et le salarié.

Le règlement Bruxelles 1 bis, succédant au règlement Bruxelles 1 qui succédait lui-même à la Convention de Bruxelles de 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale accorde une place particulière à la partie bénéficiant de la bienveillance du législateur.

C’est d’ailleurs le sens de l’arrêt du 14 septembre 2017 (C-168/16 et C169/16) de la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour reprenant le règlement Bruxelles 1 seul applicable à ce cas d’espèce.

Les motifs de l’arrêt débutent d’ailleurs avec un rappel du considérant 13 du règlement Bruxelles 1, et il n’est pas inutile de le rappeler sur cette tribune. Il y est précisé :

« S’agissant des contrats de … travail, il est opportun de protéger la partie la plus faible au moyen de règles de compétence plus favorables à ses intérêts que ne le sont les règles générales. »

Quelles sont donc ces règles considérées comme plus favorables édictées au bénéfice des salariés ?

La simple citation des articles du règlement Bruxelles 1 semble nécessaire, tellement les termes du règlement sont claires, limpides et compréhensibles.

Article 19

« Un employeur ayant son domicile sur le territoire d’un État membre peut être attrait:

  • devant les tribunaux de l’État membre où il a son domicile, ou
  • dans un autre État membre:
  1. devant le tribunal du lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail ou devant le tribunal du dernier lieu où il a accompli habituellement son travail, ou
  2. lorsque le travailleur n’accomplit pas ou n’a pas accompli habituellement son travail dans un même pays, devant le tribunal du lieu où se trouve ou se trouvait l’établissement qui a embauché le travailleur. »

Article 21

« Il ne peut être dérogé aux dispositions de la présente section que par des conventions attributives de juridiction:

  • postérieures à la naissance du différend, ou
  • qui permettent au travailleur de saisir d’autres tribunaux que ceux indiqués à la présente section. »

Dans son arrêt du 14 septembre 2017, la Cour de justice de l’Union européenne reprend ces dispositions pour répondre à la question préjudicielle d’une Cour d’appel belge saisie pour statuer notamment sur la détermination de la juridiction compétente en cas de rupture des contrats de travail de personnels de cabine de nationalité portugaise, espagnole et belge conclus avec la compagnie RYANAIR et/ou CREWLINK mais détachés auprès de RYANAIR (établie en Irlande) prévoyant comme « base d’affectation » l’aéroport de Charleroi en Belgique.

La première question posée, certes indirectement, à la Cour de justice de l’Union européenne était de savoir si la clause attributive de juridiction figurant dans les contrats de travail et désignant les juridictions irlandaises comme seules compétentes pouvait trouver une application au cas d’espèce.

En rappelant sa jurisprudence constante, la Haute Cour européenne précise qu’une clause d’élection de for ne peut s’appliquer de manière exclusive dans le cadre d’une relation comportant un lien de subordination et ainsi, interdire au travailleur de saisir les tribunaux désignés par les articles susmentionnés.

Par ailleurs, la clause attributive de juridiction était convenue antérieurement à la genèse du contentieux ; elle ne pouvait donc pas trouver à s’appliquer.

Puis, la question préjudicielle de la juridiction d’appel belge portait plus particulièrement sur la notion de « lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail » mentionnée à l’article 19 du règlement Bruxelles 1 et à sa possible assimilation à la notion de « base d’affectation » mentionnée dans les contrats de travail litigieux et définie par l’annexe III du règlement n° 3922/91.

Pour les besoins de la démonstration, il convient de rappeler que, aux termes de « l’annexe III du règlement n° 3922/91, la notion de « base d’affectation » pour les membres de l’équipage de conduite et de l’équipage de cabine est définie comme étant le lieu désigné par l’exploitant pour le membre d’équipage, où celui-ci commence et termine normalement un temps de service et où, dans des circonstances normales, l’exploitant n’est pas tenu de loger ce membre d’équipage. »

Pour répondre à la question préjudicielle, la Haute Cour précise que les dispositions susmentionnées du règlement 3922/91 relèvent du droit matériel et ne se confondent pas avec le droit judiciaire consigné dans le règlement Bruxelles 1. Autrement dit, au cas d’espèce, la notion de « base d’affectation » ne se confond pas avec la notion de « lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail ».

Il ressort de l’arrêt présentement commenté que, pour déterminer où le travail s’effectue, il appartient au juge saisi du litige, de ce référer à un faisceau d’indices.

Ces indices en matière de transport aérien peuvent être par exemple : la détermination du lieu à partir duquel le travailleur accomplit ses missions de transport, celui où il rentre après ses missions, reçoit les instructions sur ses missions, organise son travail, le lieu où se trouvent les outils de son travail, ainsi que le lieu de stationnement des aéronefs à bord desquels le travail est effectué.

La « base d’affectation » apparaît comme un indice complémentaire, certes d’une importance certaine, parce que la Cour précise que cette notion « constitue un élément susceptible de jouer un rôle significatif dans l’identification des indices ».

La solution apparaît tout à fait logique de point de vue du droit judiciaire.

En revanche, on ne peut que regretter que la question de la loi applicable n’était pas abordée, les contrats de travail prévoyant l’application de la loi irlandaise.

Il appartiendra maintenant à la juridiction belge de trancher cette difficulté…

C’est donc, encore une fois, une affaire à suivre…