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Transfert du siège d’une personne morale dans un autre pays membre de l’Union européenne

Les générations actuelles des pays membres de l’Union européenne ne conçoivent pas l’existence et le fonctionnement de cette organisation sans les quatre libertés fondamentales qui paraissent si chères à nos yeux. Les libertés de circulation de personnes, de capitaux, de biens et de services sont encrées si profond dans les fondations de l’Union européenne qu’il est inenvisageable de concevoir l’Union sans ces principes fondamentaux. Aujourd’hui, les étudiants ne limitent pas la poursuite de leurs études à leur pays d’origine, les agents économiques ne se cantonnent pas au marché national, les professionnels ne cloisonnent pas leurs prestations aux clients nationaux, … Cette facilité de franchir les frontières nationales et les déplacer au niveau de l’Union européenne fait partie de notre culture, de la culture européenne.

Il apparaît aujourd’hui inconcevable de porter atteinte à l’une de ces libertés. Néanmoins, il arrive que des législations nationales recèlent des dispositions susceptibles d’en porter atteinte.

Mais faut-il le rappeler, les droits découlant directement de ces principes comportent une limite, celle d’un exercice abusif… La vigilance des organes judiciaires nationaux et européens s’impose donc de droit.

Encore très récemment (CJUE 25 octobre 2017 C-106/16), la Cour de justice de l’Union européenne, saisie pour statuer sur des questions préjudicielles portant sur la liberté d’établissement, a rappelé que les restrictions à cette liberté existant dans les législations nationales doivent être supprimées. Toutefois, elle a réaffirmé que la restriction à la liberté d’établissement est possible mais doit « se justifier par des raisons impérieuses d’intérêt général ».

Il a été ainsi demandé à la Haute cour européenne si le fait de déplacer le siège statutaire d’une société dans un autre Etat membre de l’Union sans déplacer son siège réel constitue un exercice abusif de la liberté d’établissement. De même, un Etat membre peut-il imposer la liquidation d’une société ayant transféré son siège dans un autre Etat pour la radier du registre d’immatriculation des sociétés ?

A la première question, la Cour répond que le transfert du seul siège statutaire d’une société dans un autre Etat membre dans le but de bénéficier d’une législation plus avantageuse n’est pas constitutif en soi d’un abus.

La réponse à la deuxième question apparaît, en revanche, plus épineuse. Quelques précisions semblent s’imposer.

Le transfert du siège social d’une société résulte de la décision de l’organe social compétent (associés, dirigeant, …). Si le siège est transféré dans un autre pays, la nationalité de la société sera modifiée et conséquemment, le droit qui lui sera applicable. En revanche, le transfert du siège social ne doit pas entraîner la disparition de la personnalité morale de la société qui continue à exister et à fonctionner, mais dans un autre pays et/ou selon les règles en vigueur de ce pays.

Ainsi, l’on ne voit pas pourquoi une société se verrait imposer sa liquidation amiable afin d’obtenir sa radiation du Registre du commerce et des sociétés.

Dans le cas d’espèce présentement commenté, la juridiction de renvoi considérait que la liquidation de la société dans l’Etat d’origine s’imposait au regard de la nécessité de protéger les intérêts des créanciers, des associés minoritaires et des salariés de la société transférée.

A ce titre, la Cour de justice de l’Union européenne a rappelé que la protection des intérêts des créanciers, des associés minoritaires et des travailleurs « figure parmi les raisons impérieuses d’intérêt général reconnues par la Cour ».

Néanmoins, la Cour a considéré que l’obligation de liquidation, édictée de manière générale, ne tient pas compte du risque d’atteinte des intérêts de ces tiers et peut être remplacée par « des mesures moins restrictives susceptibles de sauvegarder ces intérêts », la constitution de garanties bancaires étant une option…

La législation imposant la liquidation de la société pour transférer son siège social a été considérée par la Cour comme une restriction à la liberté d’établissement en application de l’article 49 TFUE.

Cet arrêt confirme la jurisprudence bien établie de la Cour de justice de l’Union européenne !

Ainsi, les Etats membres, par le biais de législations nationales restrictives, ne peuvent pas compromettre la continuité d’une personne morale en cas de transfert de son siège dans un autre Etat.