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Peut-on rompre plus facilement une relation commerciale établie en état de crise économique ?

Voilà une question qui semble presque rhétorique, tellement le texte prohibant la rupture brutale de relations commerciales semble limpide.

En effet, l’article L. 442-6 I 5° dispose :

« I. – Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

 

5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n’était pas fourni sous marque de distributeur. … ».

Toutefois, dans un arrêt en date du 8 novembre 2017, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a pu jugé que les conséquences de la crise dans un secteur d’activité sont susceptibles de justifier tout d’abord, la baisse des commandes et puis, la rupture de la relation commerciale.

Les faits justifient-ils cette décision surprenante ?

A partir de l’année 2000, une société commande à une autre la fabrication de chemises que la première commercialise, la deuxième étant rémunérée par le biais de commissions calculées en fonction du volume des commandes.

Le 1er octobre 2008, les commandes ont cessé. Puis, elles ont repris faiblement en 2009. En janvier 2010, une baisse de 75% avait été constatée.

La deuxième société a donc informée sa cocontractante de l’augmentation de ses tarifs au motif que la baisse des commandes entraînait une augmentation de ses coûts de production. La première a répondu en précisant qu’il ne lui était plus possible de continuer à commander ses produits, compte tenu de l’augmentation des tarifs.

La saisine de la juridiction compétente par la deuxième société était fort logique.

Or, la Cour de cassation, comme la Cour d’appel de PARIS l’a fait, a jugé que :

« Mais attendu, en premier lieu, qu’après avoir constaté que la société D… n’avait pris aucun engagement de volume envers son partenaire, l’arrêt relève, par motifs propres et adoptés, qu’elle a souffert d’une baisse de chiffre d’affaires d’un peu plus de 15 % du fait de la situation conjoncturelle affectant le marché du textile, baisse qu’elle n’a pu que répercuter sur ses commandes dans la mesure où un donneur d’ordre ne peut être contraint de maintenir un niveau d’activité auprès de son sous-traitant lorsque le marché lui même diminue[1] ; qu’il constate que, dans le même temps, cette société a proposé une aide financière à la société E… pour faire face à la baisse de ses commissions, démontrant sa volonté de poursuivre leur relation commerciale ; qu’il ajoute que, nonobstant le fait que la société D… ait momentanément cessé de passer des commandes au cours de l’année 2009, la société E… a reçu des commissions au cours des douze mois de l’année 2009 ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations, la cour d’appel a pu retenir que la baisse des commandes de la société D…, inhérente à un marché en crise, n’engageait pas sa responsabilité[2] ; 

Attendu, en second lieu, qu’après avoir relevé que la société E… avait annoncé le 5 janvier 2010 qu’elle augmentait le coût unitaire des chemises au motif que la baisse des commandes entraînait une augmentation de ses coûts de production, l’arrêt constate que la société D… lui a répondu le 6 janvier 2010 qu’il ne lui était plus possible de lui commander des chemises par suite de cette augmentation ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir que la situation observée en 2010 était, elle aussi, une conséquence de la crise du secteur d’activité et de l’économie nouvelle de la relation commerciale qui en était résultée[3], la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à d’autres recherches, a légalement justifié sa décision ; »

S’agit-il d’un arrêt d’espèce dont la solution se trouve expliquée par les faits ?

Ceci est peu probable, l’arrêt étant publié au Bulletin Officiel.

Doit-on alors estimer qu’une situation de crise économique justifie une rupture de la relation commerciale au détriment de tout préavis ? En sauvant un opérateur économique, n’expose-t-on pas son cocontractant à des difficultés économiques inexorablement certaines ?

Mais, la Cour de cassation avait pris la précaution de constater que « la société D… n’avait pris aucun engagement de volume envers son partenaire ».

Si un engagement de volume avait été pris, la solution aurait-elle été différente…

Puis, les faits étaient antérieurs à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2016-131 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (Ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016) qui a introduit le mécanisme de l’imprévision.

Or, ce mécanisme aurait permis le « rééquilibrage » du contrat et des engagements respectifs…

Enfin, la Haute juridiction a tenu compte de la bonne foi du donneur d’ordre, qui avait manifestement subi les conséquences de la crise.

Quel enseignement en tirer pour la vie des affaires ?

L’imprévision est un mécanisme intéressant qui permet de maîtriser, dans certaines proportions, l’aléa de la vie économique, y compris en état de crise.

Si, en revanche, l’opérateur économique ne souhaite pas que la crise, ou plus généralement l’imprévision, n’aient d’impact sur les termes contractuels, encore faut-il en exclure l’application !

[1] Mis en gras par nos soins.

[2] Idem.

[3] Idem.